Face à une société algérienne sclérosée, de plus en plus candidats au départ
Fahim Djebara February 10, 2019
Des Algériens attendent l’arrivée du bus, à Alger, le 11 février 2019. Derrière eux, le portrait du président Abdelaziz Bouteflika. RYAD KRAMDI / AFP
Nora n’a pas l’habitude de prendre une journée de congé comme ça, mais là, le motif était important. Ce mercredi de février, elle a abandonné son poste de directrice d’agence chez un opérateur téléphonique à Béjaïa, pour assister à Alger à une session d’information sur l’émigration au Canada. Mariée, deux enfants, Nora présente pourtant tous les signes extérieurs d’une vie « réussie ». Mais elle veut partir.
« C’est la naissance de notre fils, il y a trois ans, qui m’a ouvert les yeux. Il n’était pas question qu’il aille dans une école qui enseigne à faire la prière, à réciter et pas à réfléchir, comme celle qu’a fréquentée notre fille. » Et l’école n’est pas un cas isolé de ce qu’elle déteste. C’est la société entière que Nora ne reconnaît plus.
« Le niqab et les barbes, qui n’étaient plus très visibles après la guerre civile des années 1990 (remportée par l’armée contre les islamistes armés), mais aussi les marques de prosternation sur le front, cette nouvelle mode de plus en plus présente. Et je ne parle même pas de la bigoterie qui accompagne ces signes extérieurs de religiosité. On a appris à notre fille à mentir, car nous ne faisons pas le ramadan ou parce qu’il nous arrive d’ouvrir une bouteille de vin… Si nos enfants sont ouverts d’esprit, ils vont souffrir. Comme nous. Car nos espoirs de voir une Algérie progressiste émerger ne se sont pas réalisés. Et moi, je veux qu’ils soient libres de faire ce qu’ils veulent sans être perçus comme des marginaux », explique la mère de famille.
Le rêve d’un autre système éducatif
« Plusieurs sources d’enquêtes souvent partielles attestent de ce phénomène naissant en Algérie, mais déjà bien développé au Maroc et en Tunisie : des familles au statut social et professionnel enviables s’installent à l’étranger pour l’avenir de leurs enfants », explique Saïb Musette, directeur de recherche au Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (Cread).
L’investissement local, c’est la solution qu’Amine, 45 ans, a choisie. Par défaut. Journaliste dans un quotidien, il n’avait jamais songé à émigrer, par peur d’un déclassement social, jusqu’à la naissance de sa fille. Alors, avec son épouse, employée dans une multinationale, Il a commencé à se documenter, bien qu’il se refuse encore à partir sans la garantie d’un emploi. Le couple compte déjà quatre frères et sœurs installés aux Etats-Unis, au Canada, en France et en Bulgarie. Tous ses efforts sont tournés vers l’éducation de leur fille, inscrite à 6 ans dans une école privée.
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