Un exemple :
https://actu.fr/normandie/treport_76711/ligne-sncf-treport-abbeville-pas-train-pendant-cinq-sept-ans_16524945.html
Remplacement du train par des bus…N'importe quoi.
Article in extenso :
«Il paraît que les petites lignes de chemin de fer coûtent trop cher. Celle que je fréquente le plus régulièrement, entre Nancy et Saint-Dié-des-Vosges, a pourtant subi toutes les économies possibles. Je ne parle pas seulement des trains poubelles (ces vieilles rames rouillées et taguées) qu’on nous avait imposés pendant quelques années, faute de mieux. Ils se sont vus remplacés, depuis, par les navettes Bombardier, qui ont encore le goût du neuf, même si elles font un peu camelote avec leurs éléments plastifiés qui claquent pendant le trajet et leur accoudoir unique à partager entre deux sièges… Mais, pendant ce temps, les baisses de coût ont continué : de nombreux trains ont été supprimés hors des heures de pointe et remplacés par des autocars qui mettent deux heures au lieu d’une pour accomplir le même trajet ; puis les contrôleurs ont disparu dans une partie des rames, si bien qu’on se retrouve abandonné en cas de problème sur la ligne, ce qui est fréquent. Pas de précision, pas d’information. On arrive quand on arrive. Et les attentes sont parfois longues. Autrefois, les services techniques intervenaient immédiatement. Aujourd’hui, pendant que nous patientons en pleine voie, toute décision doit remonter dans les étages de la compagnie et de la région qui finance.
Comme, en outre, la SNCF ne se donne plus la peine d’articuler les lignes secondaires avec son réseau TGV, on rate la correspondance si le train arrive en retard, et tant pis pour nous. En cette époque de connexions, les mondes ferroviaires ont oublié l’interconnexion. C’est pourquoi, sans doute, les annonces diffusées dans les voitures nous rappellent avec une telle insistance que nous ne sommes pas les usagers d’un service global, mais les clients de diverses marques : la marque ultramoderne TGV rayonne sous d’autres cieux que la marque Intercités et son réseau délabré, où les raccommodages urgents provoquent d’incessants ralentissements, où les pannes de locomotive compromettent les départs, tandis que les vaillants trains Corail tiennent encore le coup dans la catastrophe (et nous font regretter, malgré leur piteux état, ce proche passé où les trains étaient plus spacieux et assuraient un voyage rapide, pratique et confortable — y compris en seconde classe).
Certaines lignes Intercités se voient aujourd’hui menacées, en particulier les dessertes transversales jugées trop peu rentables — ce qui ne manque pas d’étonner dans une ère de supposée décentralisation où il faudra bientôt passer par Paris pour se rendre de Lyon à Bordeaux. La réforme annoncée vise surtout la marque TER (Transport express régional), cette version locale et à bas coût du transport ferroviaire, péniblement supportée par la compagnie, qui n’en veut plus. On le suppose, du moins, en observant cette continuelle réduction du service qui conduit une partie des usagers à se replier sur le transport routier. Or cela ne suffit pas. Après tant de dégradations, le rapport Spinetta (1) nous informe aujourd’hui que le fonctionnement réduit des petites lignes coûte encore trop cher, et qu’il va falloir trancher dans le vif.
Hors des villes, des gares monumentales entourées d’immenses parkings
Quant à moi, devant ce raisonnement censé inspirer les hommes qui nous gouvernent à l’heure de l’ultime réforme, je suis frappé d’abord par une étonnante contradiction : voici vingt bonnes années, en effet, que les élus de la nation, soutenus par les médias unanimes, n’ont pas de mots assez fervents pour affirmer leur engagement écologique et leur foi dans le développement durable. Du Grenelle de l’environnement à la COP21, tous ont pieusement approuvé certaines recommandations, comme la nécessité de favoriser le train face à la voiture individuelle, d’assurer le maillage du territoire et de développer le fret ferroviaire pour contenir le trafic de poids lourds. Mais voici également vingt ans que le réseau ferroviaire se transforme à l’inverse de ces directives, comme si les proclamations vertueuses et le système économique étaient simplement incompatibles. D’un côté, on communique sur la nécessité de transports responsables ; de l’autre, on laisse la SNCF se préparer à la concurrence et agir comme une entreprise pressée de resserrer ses coûts, quitte à supprimer les liaisons qui assurent le fameux maillage. Le président Emmanuel Macron nomme M. Nicolas Hulot ministre d’État pour montrer sa conscience des problèmes climatiques ; pourtant, deux ans plus tôt, le ministre Macron, visiblement peu sensible à la spécificité du train, déréglementait le transport par autocar qui fragilise encore le réseau secondaire — sans que la presse, si attentive aux questions écologiques, y discerne autre chose qu’une mesure pour l’emploi et pour la baisse des prix. On fait du marketing sur les avantages du rail (plus confortable, plus ponctuel, moins polluant, sillonnant de jolis paysages) ; mais ceux-là mêmes qui président aux destinées de la SNCF ont les yeux tournés vers le ciel et le modèle aérien — tel son président Guillaume Pepy déclarant au Figaro Magazine que son cadeau préféré consiste à « offrir des billets d’avion » (12 juillet 2013).
JPEG - 243.1 ko
Fernando Costa. – « IIII Heures », 2017
www.atelier-costa.com - Galerie Art Jingle, Paris
Symptomatique, en ce sens, fut la décision de confier le rapport sur « l’avenir du transport ferroviaire » à M. Jean-Cyril Spinetta, ancien patron… d’Air France - KLM. Un tel choix s’inscrit dans la logique d’une évolution amorcée dès les années 1990, quand les chemins de fer français ont adopté le système de billetterie Socrate (acronyme de « système offrant à la clientèle des réservations d’affaires et de tourisme en Europe »), acheté à la compagnie American Airlines pour servir de socle au développement du TGV. Depuis, le service public n’a cessé de s’aligner sur le fonctionnement des compagnies aériennes, avec leurs réservations obligatoires et leurs prix de billets fluctuant selon la demande — contre la notion de transport régulier, facilement accessible, et contre l’ancienne tarification unique au kilomètre qui soulignait l’aspect universel du service. Aujourd’hui, la transformation s’accélère à la faveur des mesures de sécurité qui imposent un contrôle à l’entrée de certains trains, en attendant la facturation des bagages. Autre signe de cette mutation : on a vu pousser hors des villes des gares monumentales entourées d’immenses parkings, sur le modèle des aéroports. Ces nouveaux terminaux, comme Aix-en-Provence TGV, étant dépourvus de liaisons avec le réseau secondaire, le voyageur doit prendre un bus ou une voiture pour arriver à destination par des bretelles routières encombrées et polluées. Le train est devenu cet avion sur pattes reliant quelques points à forte densité de population, à charge pour chacun de se débrouiller ensuite. Étrange paradoxe, qui n’empêche pas les autorités de continuer à brandir les notions de service public, de développement durable et de désenclavement territorial.
Dans une société où tant de modèles sont, plus ou moins consciemment, importés des États-Unis, on peut se demander si cette évolution n’est pas l’application, à l’échelle européenne, d’une façon de penser nord-américaine. Car, aux États-Unis, l’éloignement des grandes agglomérations peut justifier, à la rigueur, la desserte du territoire par quelques grandes lignes aériennes ou ferroviaires, complétées par des autobus et des voitures de location. En Europe, la proximité des pays, des villes, des régions, et la densité du réseau ferroviaire hérité du XIXe siècle invitent à une conception différente du transport public, fondée sur le voisinage, la régularité, la ponctualité et la simplicité d’accès. Or, tout en proclamant cette nécessité pour les grandes métropoles — ce qui suppose un rattrapage considérable après des années d’abandon des trains de banlieue —, le rapport Spinetta la rejette pour la majeure partie du territoire. Définissant le train comme un « transport de masse », soumis aux lois du flux tendu et de l’entassement maximal, il invite à supprimer quantité de liaisons régionales, sous prétexte que les trains de campagne ne sont pas assez remplis et que les petites lignes non électrifiées pollueraient autant que l’autocar.
Dans la cité du premier ministre, la desserte ferroviaire n’a cessé de se dégrader
La comparaison du rail et de la route ne se limite pourtant pas à cette question. Car les autocars, plus lents et moins ponctuels que les trains, aggravent l’engorgement routier et toutes les nuisances qui en découlent. Le rail, au contraire, offre un itinéraire rapide et fiable, mais aussi un moyen de transport propice au travail comme au repos. On peut y manger, s’y dégourdir, y lire sans la gêne des tournants et des changements de vitesse. Il permet aux écoliers de gagner leur lycée ou de rentrer chez eux (j’en vois beaucoup dans la montagne vosgienne, entre Saint-Dié et Sélestat, ligne menacée s’il en est). Et, pour peu que le réseau soit digne de ce nom et suffisamment bien desservi (pas seulement aux heures de pointe), les adultes peuvent se passer de voiture en cette époque officiellement soucieuse de lutter contre la circulation. Ces avantages considérables font du train le mode de transport civilisé par excellence et non un archaïsme soumis aux seules lois de la comptabilité analytique.
Voilà pourquoi les hommes d’État, qui, n’en doutons pas, sont attachés à l’avenir de l’humanité, promettent de s’y consacrer au cours de grand-messes politico-écologiques. Sauf que leur volonté d’étendre les normes commerciales européennes et mondiales contredit cette profession de foi. La théologie du libre marché et de la rentabilité absolue s’oppose à la notion même de service public censé offrir partout — qu’il s’agisse de trains ou d’hôpitaux — des infrastructures de qualité financées par la collectivité. Pris dans ces contradictions, les élus n’ont d’autre issue que la rhétorique du « en même temps » : la protection de la planète et le développement des autocars ; le développement des transports publics et la soumission aux impératifs de rentabilité ; les grandes missions proclamées par l’État et l’abandon de ces missions aux régions selon les humeurs de leurs présidents. Même les écologistes, qui devraient apparaître en première ligne, se polarisent davantage sur quelques combats symboliques — des centrales nucléaires aux organismes génétiquement modifiés en passant par la circulation à Paris —, mais ne se montrent guère audibles sur le terrain ferroviaire. Quant à la volonté affirmée par le premier ministre de raisonner au cas par cas, sans abandonner les fameux territoires, elle ne semble guère en mesure de freiner ce mouvement irrésistible qui conduit à la diminution et à la détérioration du service (on en sait quelque chose en sa ville du Havre, dont la desserte n’a cessé de se dégrader depuis vingt ans). C’est pourquoi tant d’anciens usagers, traités en clients de troisième catégorie, se retournent vers la voiture... aggravant la baisse du nombre de passagers qui permet de juger ces lignes périmées !
Une réelle volonté politique pourrait inspirer d’autres évolutions : le maintien et l’encouragement dans tout le pays d’un transport ferroviaire de proximité, accessible à toute heure et sans réservation ; mais aussi le développement du fret, à l’image de ce qui se fait aujourd’hui en Suisse — tandis que la France voit transiter les poids lourds de l’Europe entière. Paradoxe ultime : nos gouvernants si prompts à invoquer des modèles étrangers, notamment le modèle allemand, quand il s’agit de réduire les prestations sociales, ne semblent pas avoir remarqué que la Deutsche Bahn, équivalent allemand de la SNCF, vient d’adopter des mesures contraires à celles qu’on prône ici : plan de modernisation du réseau, fermeture de la filiale bus pour recentrer l’entreprise sur ses lignes de train et relance du fret ferroviaire.
À Saint-Dié, les entrepôts de marchandises sont à l’abandon. Devant la gare, où le buffet a fermé depuis longtemps, des autobus attendent les clients aux heures des trains supprimés. Ils rejoindront sur les routes ce flux ininterrompu de voitures et de camions à vitesse réduite qui a éloigné la sous-préfecture vosgienne des grandes villes voisines. À bien considérer tout cela, il semble que les pouvoirs publics français et la SNCF elle-même (avec ses filiales de poids lourds et d’autocars) aient fait depuis longtemps le choix des nuisances routières au détriment des avantages du rail.»