Sécheresse et nucléaire : une flambée de fantasmes
Sécheresse et nucléaire : une flambée de fantasmes
Le réchauffement climatique n’affecte qu’à la marge le fonctionnement des centrales, qui peuvent fonctionner… même en plein désert. Explications.
Par Géraldine Woessner
Publié le 17/06/2022 à 12h00 - Modifié le 05/07/2022 à 12h30
Temps de lecture : 7 min
C'est un « marronnier » qui revient chaque été, en période de sécheresse comme de canicule : la production des centrales, l'environnement, et surtout la sûreté seraient en péril, et notre parc nucléaire serait incompatible avec le réchauffement climatique. « Il se trouve que le nucléaire, ça ne fonctionne pas quand il fait chaud ! » s'est récemment alarmé, sur France Bleu, le leader de la Nupes Jean-Luc Mélenchon, partisan d'une sortie complète du nucléaire dès 2045.
Mais comment expliquer, dès lors, qu'une centrale nucléaire fonctionne à Abou Dhabi, où la température dépasse fréquemment les 40 degrés ? Comment expliquer que la plus grande centrale des États-Unis soit installée au cœur du désert de l'Arizona, loin de toute source d'eau… ?
Nous allons rencontrer des difficultés avec l'énergie, à cause du réchauffement climatique. Le nucléaire ne fonctionne pas quand il fait chaud. Et en même temps, les gens consomment plus d'énergie pour se rafraîchir. Nous devons passer à la bifurcation écologique. #MaFrance pic.twitter.com/NbgQa0WGqc
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) June 16, 2022
La peur de canicules à venir qui assécheraient les fleuves au point de rendre impossible le refroidissement des réacteurs, mettant soit l'environnement, soit (au pire !) nos vies en péril, figure au Panthéon des craintes diffuses entourant le nucléaire. Elle est pourtant largement infondée, ne s'appuyant – nous allons le voir – sur aucune réalité physique.
Pourquoi la production s'arrête-t-elle ?
Lorsque les températures augmentent ou que la sécheresse s'installe, plusieurs types de problèmes peuvent survenir. En premier lieu, la température des fleuves dans lesquels les centrales prélèvent l'eau de leur système de refroidissement augmentant, le rejet de cette eau réchauffée par le réacteur peut devenir dommageable pour la faune et la flore.
Ensuite, le débit des fleuves peut baisser de manière importante, accentuant les problèmes de température de l'eau, rendant (du moins s'imagine-t-on) impossible le prélèvement d'eau pour refroidir la centrale. Chacun de ces problèmes pouvant forcer un ralentissement, voire un arrêt de la production, certaines ONG soutiennent que d'ici à 2050, si le débit des fleuves baisse de 10 à 40 % (comme le redoute le ministère de l'Écologie), le maintien du parc deviendra trop risqué. C'est pourtant faux…
La température des fleuves
La vague de chaleur qui frappe la France depuis quelques jours n'a entraîné aucun arrêt. Sur les 56 réacteurs que compte notre parc, 27 sont actuellement arrêtés, 12 car ils rencontrent un problème de corrosion qui doit être réparé, et les autres pour maintenance (la période estivale étant privilégiée pour ces opérations). Un seul réacteur a dû réduire sa production en raison de la vague de chaleur : il est situé à Saint-Alban, au sud de Lyon, à un endroit où le débit du Rhône est descendu à 330 m3/seconde. Ce niveau ne menace pas la sécurité de la centrale, mais potentiellement la faune et la flore.
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Pour refroidir son système, ce réacteur « prélève » 50 m3 d'eau par seconde. Plus de 99 % de cette eau retourne très rapidement au fleuve, mais « réchauffée » à la sortie du condenseur. Pour préserver les écosystèmes, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a fixé pour chaque centrale des seuils de température à ne pas dépasser. À Saint-Alban (où, comme partout, des capteurs surveillent la température à plusieurs endroits, en amont comme en aval), la température augmente de 8 degrés au contact du condenseur, puis diminue rapidement lorsqu'elle se dilue dans le fleuve. Les seuils fixés à Saint-Alban exigent donc que la température du Rhône n'augmente pas de plus de 3 degrés au moment de la dilution, et que la température globale des eaux ne dépasse pas 28 degrés. Le débit étant moindre actuellement, et la dilution moins efficace, EDF a donc diminué la puissance de son réacteur : d'une capacité de 1 300 mWh, il est passé quelque 6 heures par jour à 300 mWh, réduisant la chaleur évacuée par quatre.
0,3 % de pertes de production sur 20 ans
Ces seuils sont fixés par l'ASN en fonction des études environnementales accumulées depuis 40 ans, et diffèrent pour chaque site. La centrale du Bugey, également située sur le Rhône, est amenée plus fréquemment à réduire sa production, comme celle de Golfech, en bord de la Garonne, un fleuve particulièrement affecté par le réchauffement climatique (il arrive que l'eau atteigne 28 degrés en aval de la centrale.)
Mais ces arrêts, s'ils sont largement commentés par la presse, représentent une infime partie de la production nucléaire : les pertes de production liées à la chaleur ont représenté 0,3 % du total d'électricité nucléaire produite ces 20 dernières années. Lors de la canicule de 2003, ces pertes ont représenté 1,2 % de la production. Cela dit, il est indéniable que ces périodes d'indisponibilité augmentent, à mesure que s'aggrave le réchauffement climatique… Très ponctuellement, selon RTE, l'indisponibilité a déjà pu atteindre 10 % de la capacité installée. Une récente étude, publiée dans Nature Energy, estime que les pertes de production mondiales liées aux indisponibilités climatiques pourraient atteindre près de 2 % en 2100.
Des dérogations limitées à 1 degré, sous étroite surveillance
Actuellement, la réglementation peut autoriser, en cas de situation exceptionnelle et au cas par cas, un dépassement du seuil de température en aval de 1 degré supplémentaire par rapport au seuil fixé. De telles autorisations ont été accordées en 2003, puis en 2006, sans impact observé sur la faune et la flore. « Dans le même temps, la surveillance des écosystèmes a été renforcée », précise Cécile Laugier, directrice de la production nucléaire en charge de l'environnement chez EDF. « Depuis quarante ans, nous avons accumulé une batterie de données sur les fleuves, que nous développons avec l'Inra, notamment, dans des projets de recherche. L'effet du réchauffement climatique se voit clairement, avec des espèces thermophiles qui remontent vers le nord… Nous voyons aussi à quel point, en trente ans, la qualité de l'eau s'est améliorée. » Mais à terme, le réchauffement climatique s'accélérant et les épisodes de canicule et de sécheresse devenant de plus en plus fréquents, des adaptations du parc seront nécessaires…
La perte de débit des fleuves peut-elle poser problème ?
Il existe en France deux types de réacteurs, dont le fonctionnement même n'a pas le même impact sur l'environnement.
Les uns, situés en bord de mer ou d'un fleuve à large débit, fonctionnent en « circuit ouvert » : cela veut dire que l'eau prélevée dans le fleuve pour leur refroidissement est directement rejetée à sa source. En moyenne, 50 m3/ d'eau par seconde sont détournés du fleuve, refroidissent le système, et retournent immédiatement (réchauffées de 4 à 8 degrés) se diluer dans les eaux. Compte tenu des volumes d'eau, pour les 18 réacteurs situés en bord de mer, aucun problème ne se posera jamais (c'est la raison pour laquelle la centrale de Barakah à l'ouest d'Abou Dhabi, située au bord du golfe Persique, fonctionne sans accroc). Pour les réacteurs situés en bord de fleuves importants, comme le Rhône dont le débit moyen varie de 600 à 900 m3/s, de ponctuels problèmes surviendront (liés à des variations saisonnières), mais sans réelle inquiétude.
Au bord des fleuves ou des rivières dont le débit est plus faible, les centrales fonctionnent en « circuit fermé » : cela veut dire que seuls 2 mètres cubes d'eau par seconde sont prélevés pour compenser l'eau qui s'évapore des tours aéroréfrigérants. Ce système de refroidissement utilise l'air ambiant, et non l'eau, épargnant les cours d'eau. « Il faut tout de même ajouter et rejeter un peu d'eau pour éviter que le circuit ne s'encrasse », précise Cécile Laugier. « Cela apporte un échauffement minime des fleuves, de l'ordre de quelques dixièmes de degré. » En France, 30 réacteurs fonctionnent en circuit fermé – et ne poseront aucun problème de sûreté, même si le débit des cours d'eau tombait à 20 m3/s.
Et l'avenir ?
À l'avenir, une poignée de centrales pourraient en effet être contraintes de fermer, notamment celle de Golfech, la Garonne étant particulièrement affectée par les effets du réchauffement climatique. Mais pas pour des raisons de sûreté : les centrales françaises sont toutes conçues selon le principe de la redondance, qui consiste à imaginer que « le dispositif principal va tomber en rade », selon le mot du directeur de la centrale de Cattenom. Chaque centrale dispose donc d'une autre prise d'eau, pour refroidir le réacteur au cas où l'impensable se produirait. Chez EDF, un service climatique interne abrite une dizaine de chercheurs permanents, chargés d'élaborer, en lien avec leurs confrères du Giec, les meilleures prévisions à long terme. « Pour un fleuve comme le Rhône, les pronostics ne sont pas catastrophiques à horizon 2050 », détaille Cécile Laugier. « Ce qui est inhabituel cette année, c'est la précocité de l'épisode… »
Mais ces travaux pèseront lourd sur le renouvellement du parc. Si le nouvel EPR, situé à Flamanville, en bord de mer, reste en circuit ouvert, les futurs réacteurs placés en bord de fleuve fonctionneront tous en circuit fermé. « Techniquement, il n'y aura pas de difficulté », confirme l'ASN. L'adaptation aux nouvelles conditions climatiques est, et restera, un sujet technique : aux États-Unis, la plus grande centrale nucléaire du pays, celle de Palo Verde, en plein désert d'Arizona, est refroidie par… les eaux usées de la ville de Phénix. Le système conçu en 1976 les achemine par un tuyau de 46 kilomètres vers un immense réservoir, où des espèces animales se sont depuis développées.
Sat 29 Apr 2023 04:28:56 PM CEST - permalink -
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