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Fiona Kolbinger, le mental et la pédale
La cycliste a remporté la 7e Transcontinental Race, devant 224 hommes et 40 femmes. Pendant 4 125 km, elle a roulé en moyenne dix-sept heures par jour.
Par Antoine Vayer PubliĂ© aujourdâhui Ă 14h28, mis Ă jour Ă 16h39
Temps de Lecture 6 min.
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Fiona Kolbinger, au dĂ©but du mois dâaoĂ»t.
Fiona Kolbinger, au dĂ©but du mois dâaoĂ»t. DAMIEN MEYER / AFP
Le vĂ©lo, câest de la voile. En aoĂ»t 1990, Florence Arthaud navigue en solitaire. Elle bat le record de la traversĂ©e de lâAtlantique Nord en passant neuf jours vingt et une heures et quarante-deux minutes en mer, entre New York et le cap Lizard. Elle est fĂȘtĂ©e Ă Brest. Elle se fait dĂ©finitivement reconnaĂźtre la mĂȘme annĂ©e en remportant la Route du rhum en novembre. Le 8 aoĂ»t 2019, lâAllemande Fiona Kolbinger, 24 ans, tout juste diplĂŽmĂ©e de mĂ©decine et qui entamera sa formation de chirurgien en septembre, arrive aux aurores Ă vĂ©lo Ă Brest, dans un relatif anonymat.
Elle vient de remporter la 7e Ă©dition de la Transcontinentale (Transcontinental Race, ou TCR), devant 224 hommes et 40 femmes, en dix jours, deux heures et quarante-huit minutes.
Une performance hors normes, peut-ĂȘtre comparable Ă la navigation en solitaire tant les efforts sont similaires. Entre le dĂ©part de Burgas en Bulgarie et lâarrivĂ©e Ă Brest, via certains points de passage obligĂ©s, comme les cols du Passo Gardena en Italie et lâAlpe-dâHuez, cette jeune blonde de 1,67 m et 57 kg aux yeux verts a tracĂ© sa route et pĂ©dalĂ© sur le bitume ou sur des chemins de terre en totale autonomie et sans assistance, comme le stipule un rĂšglement sommaire. Elle est allĂ©e « droit Ă lâessentiel, mais par des chemins dĂ©tournĂ©s », comme disait un autre navigateur, Bernard Moitessier, qui renonça en 1968 Ă franchir la ligne en vainqueur du premier Golden Globe Race, course Ă la voile autour du monde en solitaire et sans escale.
Son compteur et smartphone embarquĂ©s sur le guidon indiquent que Fiona Kolbinger aura passĂ©, en moyenne, par jour, dix-sept heures et dix-huit minutes en selle, en pĂ©dalant Ă 23,8 km/h, pour gagner cette course dâultra-endurance sur 4 125 kilomĂštres avec prĂšs de 40 000 mĂštres de dĂ©nivelĂ©. Sa victoire â pour sa premiĂšre tentative dans la discipline â suscite, passĂ© le temps de la stupĂ©faction, une admiration sincĂšre.
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Inspirée par la légende de Mike Hall
Ces courses longue distance, avec rien Ă gagner en numĂ©raire, hormis le plaisir de vivre lâaventure seul(e), prolifĂšrent depuis dix ans. Depuis quâen 2011 son crĂ©ateur, lâAnglais Mike Hall, inspirĂ© par le cyrĂ©naĂŻsme, Ă©cole de philosophie hĂ©doniste et Ă©thique, a fait le premier tour du monde en cent sept jours, en pĂ©dalant quatre-vingt-onze jours et dix-huit heures. Sa victoire en 2014 sur la Trans Am Bike, dâouest en est aux Etats-Unis, sur 6 900 kilomĂštres, a Ă©tĂ© lâobjet dâun film, Inspired to Ride. Mike Hall est mort en 2017, fauchĂ© par une voiture alors quâil Ă©tait en tĂȘte de lâinaugurale Indian Pacific Wheel Race, en Australie.
Fiona semble imprĂ©gnĂ©e de la lĂ©gende de Mike Hall, sĂ©duite par la communautĂ© de cyclistes qui sâinspirent comme elle de sa philosophie. Ils semblent tous presque dĂ©licats, voire fragiles. IntensĂ©ment chaleureux, humains et sains. En tout cas ils affichent cette tranquillitĂ© que confĂšre lâultra-endurance en solitaire.
NĂ©e Ă Bonn en 1995, Fiona pratique jeune et passionnĂ©ment la natation, mais quâelle trouve trop « compĂ©titive » Ă son goĂ»t. Elle a 16 ans lorsquâelle boucle son premier semi-marathon en deux heures et huit minutes. Elle porte ensuite son record Ă une heure et trente-quatre minutes puis participe Ă deux marathons sous les quatre heures, et ce pendant ses Ă©tudes de mĂ©decine, Ă Heilderberg.
LâĂ©tĂ© de ses 19 ans, elle rejoint Stockholm pour visiter un ami. Et câest parti pour 1 500 kilomĂštres avec un vĂ©lo lourd « Ă grosses sacoches ». « Mais enfin tu nages, tu cours, tu pĂ©dales⊠», lui dit-on Ă son retour, presque comme un reproche. Elle sâessaie au triathlon, mais a du mal Ă descendre de son vĂ©lo. En une seule journĂ©e elle abat 350 kilomĂštres jusquâĂ Zurich : « Je voulais voir le lac », donnera-t-elle comme seule explication. On lui trouve un premier challenge en 2017 Ă sa hauteur : le brevet de randonneur de longue distance Londres- Edimbourg-Londres, 1 400 kilomĂštres. Dans le mĂȘme temps, elle se passionne pour la Transcontinentale, quâelle suit sur Internet, grĂące aux trackers GPS dont sont dotĂ©s les participants de cette redoutable course en solitaire. « Jâai su que je voulais faire ça ! », sâenthousiasme-t-elle.
Le strict minimum sur le vélo
Au printemps dernier, sa prĂ©paration pour sa premiĂšre TCR est rĂ©duite Ă cause de ses derniers stages Ă lâhĂŽpital pour obtenir son diplĂŽme de mĂ©decin, Ă Dresde, quâelle couplera Ă quatre mois passĂ©s dans un centre hospitalier au Texas. « Je nâai cumulĂ© que 6 000 kilomĂštres Ă vĂ©lo, un tiers de ce que font pas mal dâautres, mais jâai fait aussi 600 kilomĂštres en course Ă pied, le matin avant mon boulot. »
Ce sera suffisant pour valider les brevets nĂ©cessaires Ă son inscription au cĂ©lĂšbre Paris-Brest-Paris, 1 200 kilomĂštres, ancienne course professionnelle devenue une randonnĂ©e, quâelle va aussi enchaĂźner ce dimanche (!). Elle rencontre alors Ă Dresde Björn Lenhard, star allemande de la discipline. Il prodigue Ă cette novice de lâultra-endurance de prĂ©cieux conseils et quelques ficelles du mĂ©tier. Comme celle qui consiste Ă nâembarquer que le strict minimum, avec sa brosse Ă dents, sur un vĂ©lo qui, chargĂ© avec un duvet lĂ©ger et quelques outils, ne pĂšse que 13 kg.
Fiona Kolbinger, casquette floquĂ©e 66 plutĂŽt que dâun dossard, ultramĂ©thodique, calme et dĂ©terminĂ©e, rompue aux carences en sommeil par ses Ă©tudes, ne couchera que deux nuits Ă hĂŽtel. « Pour laver mon unique cuissard⊠pour lâhygiĂšne », dit-elle Ă propos de ces deux arrĂȘts sous un toit, le premier en Serbie pour 10 euros, le jour 3, et le second, au Galibier, le jour 7. Le reste de la course, elle dort Ă la belle Ă©toile. Mange « des bananes, des sandwichs, des barres de cĂ©rĂ©ales, des boissons lactĂ©es chocolatĂ©es, des bonbons », uniquement sur son vĂ©lo pour ne pas perdre de temps, le tout achetĂ© le long de la route.
« Dans ma tĂȘte, je calculais en permanence. Jâanticipais tout le temps, tout, les vitesses, les distances, en rĂȘvant Ă©veillĂ©e dans ce monde, presque pressĂ©e de voir le paysage derriĂšre la montĂ©e Ă venir dont jâestimais le temps pour la grimper. Jâai tout gĂ©rĂ© au feeling, aux sons et au rythme de ma respiration plus ou moins haletante, Ă son Ă©coute, sans capteur de puissance, sans cardiofrĂ©quencemĂštre, Ă lâinstinct, au plaisir, mais en calculant dans mon cerveau, tout⊠» Elle se prend au jeu de la compĂ©tition quand elle apprend, surprise, que la voilĂ passĂ©e de la septiĂšme place⊠à la premiĂšre. CâĂ©tait en Italie, se souvient-elle : « Jâai alors aimĂ© savoir que je pĂ©dalais en tĂȘte. »
La gestion du sommeil, clé du succÚs
A ceux qui seront surpris que ce soit une femme qui gagne, elle explique posĂ©ment, pragmatique et professionnelle, que la testostĂ©rone qui prĂ©vaut pour les efforts explosifs, lui semble moins nĂ©cessaire pour lâultra-endurance que le mental. Et quâun esprit cartĂ©sien est indispensable Ă un tel projet. Elle Ă©voque lâorganisation et la gestion, deux domaines aussi prĂ©dominants dans lesquels elle excelle. Comme la gestion de la privation de sommeil, la clĂ© du succĂšs du solitaire en mer comme sur terre. « Je ne me suis jamais sentie faible, jâaurais pu rĂ©pondre Ă un employeur et nĂ©gocier mon contrat Ă toute heure. JâĂ©tais toujours lucide, fabuleusement heureuse. »
A ceux qui évoquent son compatriote cycliste Jan Ulrich, ex-star dopée du Tour de France, Fiona Kolbinger répond en praticienne en tendant ses avant-bras : « Prends et analyse mon sang si tu veux. Jamais je ne risquerai ma santé avec des substances ou des méthodes qui mettraient mon intégrité physique et psychique en danger. »
Traverser lâEurope, admirer des paysages quâelle nâimaginait pas, lâa comblĂ©e. Laissant libre son esprit, sans contrainte apparente, si ce nâest celle de sâorganiser pour gagner, elle confie quâelle « a besoin dâaimer les gens, que cela fait partie de [son] mĂ©tier », mĂȘme si elle sâest « sentie bien, seule Ă pĂ©daler pendant des jours et des jours ».
Elle refuse dâĂȘtre sponsorisĂ©e, apprĂ©cierait juste un don sous forme dâun kit de vĂȘtements ou de matĂ©riel high-tech. Son vĂ©lo restera un objet de loisir et de plaisir. Elle ne se professionnalisera jamais. « DĂšs quâil y a de lâargent dans le sport et que les gens en vivent, il y a trop de pression. Lâendurance, câest dĂ©jĂ de la pression », dit-elle dans un sourire.
Ce dimanche, elle se rend, Ă vĂ©lo bien sĂ»r, de Brest, au rendez-vous Ă Rambouillet des randonneurs pour le dĂ©part du Paris-Brest-Paris, quâelle bouclera certainement en moins de trois jours. Puis elle verra ses patients et prĂ©parera lâĂ©dition 2020 de la Transcontinentale. Pour gagner Ă nouveau. Son message tient en deux lignes : « Vas-y, fais-le. Ne te fixe pas de limites avant dâaller voir oĂč elles seraient, si câest alors le plaisir et lâenvie qui te guident, ton seul moteur. »
Antoine Vayer (ex-entraßneur de Festina)»
https://www.lemonde.fr/sport/article/2019/08/06/devant-266-concurrents-dont-255-hommes-fiona-kolbinger-remporte-une-course-cycliste-de-4-000-km-sans-assistance_5497013_3242.html
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Devant 263 concurrents, dont 224 hommes, Fiona Kolbinger remporte une course cycliste de 4 000 km sans assistance
Chaque jour, lâAllemande de 24 ans a pĂ©dalĂ© entre quinze et dix-sept heures, sâoffrant au maximum quatre heures de sommeil.
Publié le 06 août 2019 à 09h20 - Mis à jour le 06 août 2019 à 11h21
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Fiona Kolbinger, lundi 5 août sur les routes du FinistÚre.
Fiona Kolbinger, lundi 5 août sur les routes du FinistÚre. DAMIEN MEYER / AFP
Câest une premiĂšre dans lâhistoire du cyclisme dâultra-endurance. LâathlĂšte Fiona Kolbinger, 24 ans, sâest offert, mardi 6 aoĂ»t au matin (7h48 prĂ©cisĂ©ment), une victoire dans la Transcontinentale, une Ă©preuve titanesque de 4 000 kilomĂštres en totale autonomie et sans assistance. En dix jours, deux heures et quarante-huit minutes, la jeune Allemande devance ainsi ses 263 concurrents, parmi lesquels figuraient quarante femmes.
Tout le long de ce pĂ©riple parti le 27 juillet de Burgas, en Bulgarie, lâamatrice a tenu une cadence infernale. Chaque jour, elle a pĂ©dalĂ© entre quinze et dix-sept heures, sâoffrant au maximum quatre heures de sommeil, pour gagner au plus vite sa destination finale : la ville bretonne de Brest.
Pas de parcours défini
FondĂ©e en 2013 pour « raviver lâĂąge dâor du cyclisme, avec les moyens du XXIe siĂšcle », la Transcontinentale prĂ©sente lâoriginalitĂ© de ne pas imposer de parcours aux cyclistes engagĂ©s, mais seulement quatre points de passage. Cette annĂ©e, il sâagissait de Bouzloudja (Bulgarie), Besna Kobila (Serbie), le col de Gardena, dans les Alpes de lâĂtztal (Italie), et lâAlpe dâHuez (France). Libre aux coureurs de composer avec ces contraintes, ce qui rĂ©vĂšle des stratĂ©gies variĂ©es. Fiona Kolbinger a ainsi choisi de passer par le col du Galibier, comme Thibaut Pinot voilĂ quelques semaines sur les routes du Tour de France.
La course, surnommĂ©e le « VendĂ©e Globe cycliste », impose en outre de nâavoir recours Ă aucun soutien extĂ©rieur, tant pour les rĂ©parations, le ravitaillement que le repos. Les cyclistes ne disposent que de ce quâils transportent avec eux, et consommant uniquement ce quâils trouvent sur leur route. La plupart dorment oĂč ils peuvent, qui dans les fossĂ©s ou sous des abribus, rapporte ainsi La Croix.
CâĂ©tait la premiĂšre fois que Fiona Kolbinger sâĂ©lançait sur cette compĂ©tition, et « câest ce qui constitue le principal exploit de sa performance », souligne mardi matin lâorganisation de la course. « Je suis tellement surprise de gagner. Je visais le podium des femmes, je ne pensais pas que je pourrais gagner la course », a rĂ©agi Kolbinger, sur le site officiel des organisateurs. La ligne Ă peine franchie, la jeune femme, qui travaille dans le domaine de la recherche contre le cancer Ă Heidelberg, dans le Land de Bade-Wurtemberg, avait toutefois estimĂ© quâelle « aurait pu repousser encore un peu plus ses limites ».
Fiona Kolbinger has won #TCRNo7 in a time of 10 days, 2 hours and 48 minutes.
https://t.co/w82QnWvi9e
â transconrace (@The Transcontinental)